Technologies de réseau et usages

S'il est une question à la base de toutes les activités d'exploitation de réseau, c'est bien celle de la rentabilité des services. En quelque sorte, l'exploitant, à toutes les périodes de l'histoire des télécommunications, a cherché à évaluer avec plus ou moins de bonheur les fameux "facteurs de succès" du ou des services qu'il se préparait à mettre en œuvre. La définition d'une recette globale valable à travers les âges et les technologies, qui puisse permettre d'ouvrir des portes pour le futur, est-elle envisageable ?... Entre le pôle des technologies qui fixe les possibilités des services et celui des usages qui permet la rentabilité, s'est instauré un échange permanent qui, avec le temps, est devenu plus complexe que par le passé, la progression des performances étant aujourd'hui rythmée par les effets de la loi de Moore et modulée par la mondialisation et l'entrée de l'informatique dans le domaine des télécommunications.

Le difficile paramétrage entre technologies et usages

Ce thème pourrait être l'occasion d'une vaste étude historique des services ou même d'une immense thèse de fin d'étude. Cette fresque pourrait détailler les raisons qui se sont trouvées à la base des progrès en téléphonie manuelle, puis celles liées à la naissance et à l'évolution de la téléphonie automatique, à l'expansion du réseau, à la naissance de la téléphonie mobile, etc. Mais le développement des technologies ne concerne pas seulement la description des faits historiques ou le rôle des hommes clés qui ont eu la vision historique du développement des télécommunications et de ses conséquences sociales et humaines. Le poids de la réglementation et les aspects juridiques associés aux services ont eu, à l'occasion, un effet de frein ou d'accélération pour l'adoption du service par le public. Aujourd'hui, le "volant critique" ou le nombre minimum de clients nécessaire pour le lancement d'un service est beaucoup plus important qu'hier, car un produit demandé en grandes quantités justifie l'intégration des composants et diminue les prix de vente. Personne n'oserait aujourd'hui lancer un terminal à vocation nationale, car les industriels exigent tous des débouchés sur le marché mondial et un rythme de production soutenu.

L'évolution historique

Les facteurs de succès d'un système de communication deviennent de plus en plus complexes, car le marché n'est plus homogène comme il l'a été à ses débuts. Il se divise aujourd'hui en plusieurs segments et l'exploitant de réseau a besoin de la participation de partenaires fournisseurs de services ou fournisseurs de contenus. Cette atomisation du marché s'accompagne d'une forte croissance du trafic et d'une grande variabilité de la demande. L'exploitant doit donc songer à simplifier la gestion de son réseau et de ses services, introduire de la souplesse dans l'acheminement des trafics, tout en aidant à distance un certain nombre d'utilisateurs un peu dépassés par cette évolution rapide des technologies.

Les rapports entre technologies et usages (et leur évolution au cours de ces cent dernières années) paraissent impossibles à décrire, car ces relations qui étaient opaques et limitées autrefois, se sont un peu plus éclaircies, révélant à cette occasion une part de leur complexité. La norme fige le système et ce sont les options utiles qui permettent une nouvelle évolution du système. Spohn a montré que les protocoles de réseau qui n'étaient plus adaptés à l'environnement des réseaux disparaissaient et le mot de "mendélisation" des protocoles a été prononcé à cette occasion. Les services de communication obéissent à des lois similaires. Ils doivent demeurer simples, ergonomiques efficaces et assez bon marché pour être adoptés par les utilisateurs. La compatibilité avec les systèmes antérieurs n'est plus exigée formellement, mais l'utilisateur sait faire ses choix et retenir le système qui convient à ses achats précédents. Des facteurs que l'on avait considérés comme importants autrefois, comme le prix à payer ou le cadre réglementaire, se sont révélés plus malléables de part et d'autre. L'aspect international intervient aujourd'hui dans tous les choix, alors que dans le passé, ce domaine était considéré comme de moindre importance. Le critère des droits à brevets également a évolué et le droit de reproduction (propriété intellectuelle) des montages et des composants ne sont plus des facteurs de blocage des innovations technologiques, comme ils l'étaient autrefois. L'intérêt économique des industriels a pris le pas sur l'autorité et le savoir-faire des exploitants d'hier. Aujourd'hui, exploitants historiques et les exploitants de la concurrence négocient avec le groupe d'industriels et les fournisseurs de services de leur choix, sans connaître la totalité du dossier des services nouveaux proposés et des capacités des terminaux associés. Après dix ans de travail de normalisation, le GSM a connu un départ fulgurant dans un grand nombre de réseaux et le service de messages courts (SMS) est né à la suite d'initiatives isolées en Italie et au Royaume-Uni. La carte à puce, dont le principe remonte à une trentaine d'années, est encore riche en avenir, car de nombreux domaines doivent être encore coordonnés pour lui assurer sa place réelle dans l'économie, la santé et le transport, par exemple.

L'exemple de l'ADSL

Si, en avionique comme dans notre métier, "l'Histoire alimente l'Histoire", il est un exemple type que l'on peut considérer pour essayer de résumer les critères facteurs de succès des services ou pour proposer une méthodologie pour améliorer ce dialogue permanent entre les usages et les technologies. Cet exemple est ici celui de l'ADSL. En effet, comme pour le marché de l'ADSL, il y a bientôt quarante ans, un avionneur bien connu a réussi à tirer son épingle du jeu en proposant à l'Etat des modèles successifs d'avions à réaction améliorés, grâce à une suite de contrats savamment négociés. Le pari était difficile et coûteux. Il fallait réussir chaque étape pour parvenir au modèle final, mais c'était jouable ! Ce système de progression technologique s'est appliqué ces dernières années à l'ADSL, mais avec plusieurs groupes industriels coordonnés.

Dans un premier temps, les laboratoires américains avaient constaté les performances du RNIS, mais ils avaient considéré que ses performances pourraient être améliorées par des connexions permanentes (AO/DI, Always On - Dynamic ISDN) et par un nouveau codage de ligne d'abonné permettant un débit plus élevé. Les graveurs de silicium, associés aux spécialistes de la propagation sur câble, ont alors estimé qu'ils avaient devant eux une bonne dizaine d'années, voire une quinzaine d'années, pour participer ensemble à la valorisation du cuivre des lignes téléphoniques ordinaires en attendant l'arrivée de la fibre optique à la maison (FTTH). En conséquence, un plan de route (road map) a été édifié, entre les industriels des composants et les équipementiers, pour le lancement d'un programme progressif de l'ADSL. A chaque fois que les processeurs ont franchi une étape technologique, les multiplexeurs d'abonnés ont augmenté le débit numérique de la ligne d'abonné et se sont affranchis de perturbations sur des lignes de plus en plus longues. Ainsi, de G.Lite (1997), qui est la version vide de l'ADSL (et à petit débit), on est passé rapidement à l'ADSL simple, puis à l'ADSL2, pour aboutir à la fin de cette année à l'ADSL2Plus.

Que dire sur les services associés à l'ADSL ? Rien pour l'instant ne permet d'affirmer que le succès est en vue, mais le passage en force a été décidé par la technologie de façon unilatérale. L'ADSL2Plus fera non seulement IP, mais aussi l'ATM et IP sur ATM, ce qui devrait permettre aux exploitants d'utiliser des multiplexeurs nouveaux tout en valorisant leurs investissements en plaques ATM régionales. Cette ADSL2Plus devrait permettre au moins trois types de service simultanés : la téléphonie vocale, la diffusion de films numériques ou de télévision numérique et l'accès à Internet. L'ensemble sera t-il profitable ? Rien n'est moins certain, car il faut, pour des questions de rentabilité, effectuer un regroupage suffisant des lignes sur les multiplexeurs du réseau téléphonique de distribution et chacun espère que la réponse globale du public sera favorable. Ainsi, dans cet exemple, on voit que l'initiative prise par le groupe d'industriels et de composantiers conduit les exploitants, que le nouveau régime réglementaire a placé en régime de concurrence, à prendre seuls des risques financiers importants. Dans le passé, c'était l'exploitant de réseau qui conduisait l'étude des éléments clés du service (terminal Minitel, télétexte, cabines téléphoniques à carte, etc. et équipements de réseau associés) et qui prenait le risque de lancer les commandes. Aujourd'hui, l'exploitant devient l'instrument de l'action des industriels et pour équilibrer son bilan comptable, il doit négocier avec les fournisseurs de services de son choix. Rien ne prouve que ces services seront en mesure à terme d'équilibrer les charges induites. Rien ne permet non plus de dire que les flux de trafic entrants et sortants s'accommoderont des protocoles de réseau cœur actuellement en place et que d'autres ajustements de flux seront de nouveau nécessaires.

Cycle financier et cycles technologiques

Face à cette situation, le pôle de la demande en services doit être encore enrichi en considérant que les règles bancaires nécessitent aujourd'hui des retours sur investissements de trois à cinq ans. Les exploitants sont astreints à étudier plus en détail les segments de marchés porteurs et à édifier des scénarios de comportement des utilisateurs. Pour qu'un cercle économique se déclare pour certains services, il faudrait atteindre un volant estimé à 10 % des abonnés équipés. Autrefois, les exploitants historiques se tournaient naturellement vers les entreprises qui constituaient leur clientèle cible. Aujourd'hui, les segments de marché prennent en compte le grand public dans sa diversité, les femmes, les enfants, etc. Les adolescents représentent 40 % de certains marchés (messagerie, services musicaux, logiciels, etc.). L'équilibre budgétaire d'un réseau comprend donc désormais une chaîne de services associés, lesquels répondent aux demandes ou aux besoins de plusieurs segments de population et exigent la participation de plusieurs prestataires de services. Plus encore qu'hier, l'enrichissement mutuel entre technologies et usages passe désormais aujourd'hui par les fourches caudines des banques.

Mise à jour 30 Juin 2003


Copyright(c) . Created: 24/06/03 Updated: 24/06/03