Atelier de Témoignage du 10 juillet 2002
à Pleumeur Bodou

Extrait du livre " A JAMAIS LA BRETAGNE - 1998
(pages 142 - 143 - 144) par Claude CHAMPAUD(1)
Éditions Régionales de l'Ouest

Lorsque l'épopée des télécommunications françaises débuta à l'orée des années 60, rien ne laissait présager qu'elles conduiraient notre pays aux premiers rangs de ceux dont la recherche et l'industrie ont propulsé notre monde dans la société post-industrielle. Cette nouvelle organisation sociétale sera celle de l'immatériel et de l'informationnel, celle des relations universelles instantanées de l'internet et du multimédia intégral, de la fibre optique et de l'ATM, celle des communications satellitaires, du numérique, de la télévision et des " sondes " interstellaires, celle de l'aéronautique, de l'informatique et de la robotique, celle de l'intelligence artificielle et de l'image virtuelle... Elle porte aussi en ses flancs un monde d'hommes et de femmes, d'enfants et d'adultes scotchés à un écran, livrés à la promotion de la " pensée unique ", à celle de la vulgarisation du mal, des maux et des malheurs du Monde infestant nos foyers. Elle causera l'apparition de nouvelles formes d'inadaptations, voire d'exclusions. On ne saurait cacher les risques que recèle l'avènement de cette société de l'immatériel, de l'informationnel et de l'image, qui tue l'imaginaire. Elle n'en est pas moins aussi inéluctable que le fut le passage de l'antique société artisano-agricole et rurale vers la société technico-scientifique, industrielle et urbaine aux XIXème et XXème siècles.

A l'aube des " trente glorieuses ", rien ne laissait présager que la Bretagne tiendrait une place essentielle, voire prééminente, dans une aventure scientifique et industrielle dont les prémices n'étaient connus que d'un très petit nombre. C'était le temps où notre téléphone était l'objet des quolibets des chansonniers. Les Français se répartissent en deux catégories, disaient-ils : " l'une attend le téléphone et l'autre la tonalité ". Fernand Raynaud en faisait un de ses meilleurs sketchs, " le 22 à Asnières ". La France riait... jaune et le Général vit rouge. Il ordonna à Pierre Marzin, ancien Français libre, gaulliste et Directeur Général des Télécommunications, de mettre fin, au plus vite, à cette situation et que la France troqua la lanterne rouge du téléphone contre la torche de l'éclaireur des télécoms. Marzin était enfant du Trégor. C'est ainsi que le radôme de Pleumeur-Baudou émergea des genêts et que Lannion devient l'une des capitales mondiales des télécommunications.

Inattendue et purement volontariste, cette localisation allait projeter la Bretagne dans l'une des aventures majeures de notre époque. A la surprise des détracteurs de cette " biniouserie " (sic), l'essaim scientifique et formateur que se constituera sur les sites de Lannion, Brest et Rennes, propulsera la France aux premiers rangs des terres d'élection de la révolution cybernétique. Près de la moitié des chercheurs publics en télécoms furent progressivement localisés dans notre région. La Bretagne doit beaucoup aux scientifiques et aux ingénieurs du CNET, à ceux des Écoles des télécoms, à ceux de l'IRISA et à ceux des Universités de Rennes et de Bretagne Occidentale ainsi qu'à ceux des autres grandes Écoles dotées de laboratoires spécialisés dans l'informatique, les télécommunications et les réseaux (I.T.R.). Elle doit aussi beaucoup aux responsables de la gestion publique qui caractérisa leur essor dans notre pays et plus particulièrement en Bretagne. A titre d'exemple, on citera Gérard Théry qui fit le pari du minitel dont la recherche et le développement se firent à Rennes-Cesson ou encore Joseph Libois, Directeur du CNET, qui fit de Lannion le haut-lieu de la commutation électronique, mère du téléphone moderne.

A côté des centres de recherche bretons, les autorités publiques favorisèrent l'installation d'usines de production de matériel de communication. Fairchild, Matra, Thomson, Alcatel, la Sagem, etc. installèrent de nombreux établissements dans notre région. Dans un premier temps, celui de quelques décennies quand même, ce fut une aubaine pour une main-d'œuvre, souvent féminine, que l'agriculture, le commerce et l'artisanat " libéraient ", en Armorique comme ailleurs. Ces localisations provinciales d'ateliers concoururent à l'arrêt de l'émigration bretonne dont l'ampleur avait provoqué la mobilisation célibienne. Dans un second temps, depuis quelques années, les mutations technologiques qui suppriment la main-d'œuvre ou requièrent d'autres qualifications ont déterminé fermetures et coupes sombres dans les effectifs. La recherche animée par le CNET se trouve déstabilisée par les décisions et indécisions consécutives à la désétatisation des opérateurs télécoms. Ces événements ont révélé qu'il existait un trou noir dans l'univers breton des télécommunications. Celui-ci réside dans l'absence de centres de pouvoir donc de lieux de décisions stratégiques dans ce secteur en Bretagne. Notre région a accueilli usines et laboratoires des télécoms. Ses femmes et ses hommes ont nourri leur vie quotidienne avec amour et fierté, avec diligence et compétence. Néanmoins, dans ce domaine d'activités, la Bretagne ne fut que la nourrice de ces entreprises. Elle n'en a pas été la mère utérine. Contrairement à certains de leurs homologues de l'agroalimentaire et de la grande distribution, les grands groupes qui règnent sur ce marché n'ont jamais eu d'attache charnelle avec notre région. Leurs dirigeants ne sauraient donc éprouver de sentiments d'obligation morale à l'égard de sa population ou de ses responsables alors que l'une comme les autres leur ont tout donné.

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Copyright(c) . Created: 12/10/02 Updated: 02/11/02