Intervention de M. Jean Grenier, Directeur Général, EUTELSAT
Tunis, Ecole Supérieure des Communications, 28 octobre 1998

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Monsieur le Directeur, Mesdames, Messieurs,

Mon intervention aujourd'hui est celle d'un ingénieur des télécommunications qui a pris part directement aux évolutions de ce secteur au plan technique comme au plan de la réglementation pendant les 35 dernières années.

Les évolutions sur ces deux plans sont d'ailleurs liées. En effet, au début de ma carrière, les seuls services offerts aux clients professionnels ou grand public étaient la téléphonie, avec beaucoup de limitations (service le plus souvent manuel, qualité d'audition internationale aléatoire, tarifs élevés), le télégraphe et, pour les applications professionnelles, le télex qui débutait et la transmission de photos pour les journaux par ce que l'on appelait alors le bélino.

Puis, j'ai pu participer au développement rapide de toute une série de nouveaux services, largement "tirés" par la demande croissante émanant des utilisateurs professionnels: transmission de données, fax, télématique, hier vidéotex, aujourd'hui Internet, services à valeur ajoutée de toute nature, services mobiles, le tout acheminé sur des liaisons à grande capacité nationales ou internationales utilisant les faisceaux hertziens, les systèmes coaxiaux et maintenant la fibre optique et les satellites.

En ce qui concerne la télévision, je voudrais rappeler qu'avant la mise en service du satellite Telstar en 1962, qui a marqué mes propres débuts dans les communications spatiales, il était impossible de procéder à l'échange de programmes de télévision d'un continent à l'autre, alors qu'aujourd'hui, grâce au satellite, il est devenu banal d'assister en direct à toutes sortes d'événements, sportifs, politiques et artistiques, tragiques ou divertissants, en provenance de n'importe quel point de la planète.

Cette explosion dans la gamme des services offerts et des technologies disponibles remettait en cause la notion de monopole naturel qui justifiait, dans chaque pays, qu'un seul opérateur soit l'interlocuteur du public. Il paraissait en effet difficile, voire impossible, qu'une seule entreprise soit chargée de fournir une telle variété de services. D'autre part, le marché des télécommunications se caractérise depuis l'après-guerre par son expansion continue, qui a largement échappé aux conséquences des deux chocs pétroliers. S'ajoutait à cela l'évolution politique générale qui a vu le triomphe du libéralisme sur le socialisme centralisateur. Pour remplacer le monopole naturel, la concurrence s'imposait donc afin de trouver un nouvel équilibre entre les aspirations des clients (et notamment des entreprises) en matière de service et de prix, et les ambitions du secteur privé, de plus en plus intéressé par le domaine des télécommunications et soucieux de mettre en valeur ses capacités créatrices et entrepreneuriales.

Ainsi, lorsque j'ai commencé ma carrière voici 35 ans, l'administration française des PTT n'avait à l'époque pas le moindre doute quant à la légitimité de sa position, ni quant à sa façon de considérer les utilisateurs non comme des clients, mais plutôt comme des assujettis. Approchant désormais du terme de cette même carrière, je constate que partout dans le monde, les structures des opérateurs de télécommunications sont en profonde rénovation. En France même, France Télécom conserve son rôle de leader en raison de l'ampleur de son activité passée, de sa bonne réputation auprès du public et de sa volonté de s'adapter au nouvel environnement en changeant de façon drastique sa culture d'entreprise, mais doit faire face à l'agressivité de nouveaux venus qui proposent des solutions intéressantes aux entreprises comme au grand public. Tout ceci se traduit par une baisse des tarifs, un meilleur confort et une qualité accrue pour la clientèle, mais aussi par une course incessante visant à l'introduction de nouvelles technologies. Il faut cependant préciser que jusqu'à présent, cette concurrence a surtout porté sur les terminaux, les services et de nouvelles applications telles que le téléphone portable, et commence tout juste dans les infrastructures fixes.

Bien entendu, cette évolution des structures ne saurait être la même dans tous les pays. La concurrence totale n'est possible que dans la mesure où l'on dispose d'une infrastructure solide et très complète, permettant d'offrir des services à tous les usagers, tant urbains que ruraux, et en profitant pendant un certain temps de la péréquation tarifaire nécessaire au subventionnement de l'équipement des zones les plus reculées par les profits réalisés dans les services plus rentables.

En effet, l'esprit de concurrence ne doit en aucun cas faire disparaître le concept de service universel, c'est à dire la possibilité pour tous d'accéder aux service de base indispensables au développement professionnel et à la vie sociale. De même, la concurrence ne doit pas avoir pour résultat de gaspiller les ressources rares que sont les fréquences radioélectriques et, dans le cas des satellites, les positions sur l'orbite géostationnaire.

En tant qu'ingénieur, cependant, je dois répéter que cette évolution réglementaire n'a été rendue possible que grâce au progrès technique, qui en constitue la condition indispensable. Par exemple, au début de ma carrière, nous utilisions les transistors au germanium, fruit des travaux de trois chercheurs des Laboratoires Bell, Baudeen, Brattain et Shockley, et mis au point en 1948. L'utilisation de ces transistors constituait un progrès en permettant de remplacer les logiques câblées utilisant des relais électro-mécaniques, qui avaient permis le développement des services téléphoniques commutés, par un "hardware" beaucoup plus simple. Pour la petite histoire, je rappelle que c'est un entrepreneur américain de pompes funèbres, Almon Strowger, qui a conçu le premier système de téléphone automatique assurant le secret des communications. Strowger avait en effet été traumatisé par le fait que l'épouse de son principal concurrent, opératrice du téléphone dans leur petite ville, orientait systématiquement les clients éplorés vers l'entreprise de son mari. Voilà donc un bon exemple de l'influence positive que peut avoir le marché sur l'évolution de la technologie.

Après le germanium, on eut recours au silicium, moins sensible aux variations de température, mais les transistors restaient volumineux et chers. C'est surtout l'apparition des circuits intégrés qui a révolutionné tous les aspects des systèmes logiques, en permettant de passer des logiques câblées aux logiques programmées sur microprocesseurs pour les systèmes téléphoniques commutés, au début des années 70.

Dès lors, la convergence de l'informatique et des télécommunications pouvait devenir une réalité et la concurrence s'étendre aux infrastructures, puisque tous les systèmes parlent désormais le même langage binaire. La révolution introduite par les circuits intégrés à donc permis de passer du monde analogique au monde numérique. Ainsi, en France à partir de 1970, on a introduit la technologie numérique dans les centraux téléphoniques. Auparavant, la commutation s'effectuait de manière spatiale, c'est à dire que le même chemin filaire était utilisé pendant toute la durée d'une communication téléphonique, un certain nombre d'organes électro-mécaniques étant mis en œuvre pour permettre d'orienter n'importe quel abonné vers n'importe quel autre.

Une première étape de modernisation a consisté dans l'électronisation des organes centraux utilisés dans les commutateurs spatiaux. Cependant, en France, le Centre National d'Etudes des Télécommunications a joué un rôle pionnier dans l'introduction d'une autre méthode de commutation, dite "temporelle", où la notion de connexion physique, spatiale, est remplacée par un multiplexage dans le temps. Celui-ci est rendu possible par un échantillonnage des signaux analogiques pour les transformer en impulsions numériques. Je vous rappelle à ce propos tout ce que nous devons aux théorèmes de Shannon.

Bien entendu, les Français n'étaient pas les seuls à s'intéresser à cette évolution technique. Cependant, alors que dans la plupart des grands laboratoires de télécommunications mondiaux, on pensait que la technologie numérique serait d'abord employée pour les centraux téléphoniques de transit, les travaux du CNET, accompagnés par un effort industriel de la C.I.T. (devenue ensuite Alcatel) ont permis une application directe de la commutation temporelle aux centraux d'abonnés. Ainsi, l'industrie française a été la première au monde, avec le système "E10A" à fournir aux compagnies exploitantes des commutateurs entièrement électroniques pour les raccordements d'abonnés.

C'est d'ailleurs sur les centraux d'abonnés que l'on pouvait réaliser les économies les plus importantes, car les centraux de transit étaient beaucoup moins nombreux. Il n'est donc pas étonnant que la France ait été pionnière dans ce domaine, car son industrie était faible dans le domaine de la commutation spatiale, dominée par des groupes allemand, américain, britannique et suédois. La France avait donc tout intérêt à adopter tout de suite une technologie novatrice pour que son industrie puisse gagner ainsi des parts de marché dans la compétition mondiale. On doit rappeler dans ce contexte que l'évolution du marché de la commutation publique a représenté l'enjeu économique majeur du secteur des télécommunications dans les années 80.

Tout ceci semble banal, mais il faut rappeler que la mise au point des programmes nécessaires à ces centraux numériques a été laborieuse. Les industriels ont mis du temps à se reconvertir de l'électro-mécanique à l'informatique. Toutefois, cette révolution a débouché non seulement sur de très importantes économies tant au plan des investissements que sur celui de la maintenance (il fallait des armées de techniciens pour l'entretien des centraux électro-mécaniques anciens), mais également sur une qualité de service accrue et sur l'intégration de nouveaux services à valeur ajoutée. A cet égard, je dois signaler la mise en œuvre à partir de 1985 des Réseaux Numériques à Intégration de Services (RNIS), qui offrent aux utilisateurs professionnels des applications de toute nature à un prix modéré. Il reste bien entendu des domaines à approfondir. Par exemple, les systèmes de traduction automatique, qui permettront dans quelques années de parler arabe à Tunis et d'être entendu en français à Paris, et vice-versa. C'est le fondateur de la NEC, M. Kobayashi, qui le premier m'avait parlé de cette application voilà quinze ans. J'étais sceptique à l'époque, mais aujourd'hui, je n'ai plus de doute sur sa faisabilité.

Toujours dans le domaine des techniques numériques, la commutation par paquets de données (en France, le réseau "Transpac") a joué un rôle important dans l'aménagement du territoire. Le principe de tels réseaux reposait en effet sur une tarification indépendante de la distance, ce qui facilitait l'implantation d'entreprises un peu partout, sans que le coût des télécommunications ne constitue un élément dissuasif vis à vis de la décentralisation.

Ce même réseau Transpac a constitué l'un des élements-clés du succès du vidéotex, connu en France sous le nom de Minitel. L'idée, apparue à la fin de la décennie 70, consistait à doter chaque foyer français d'un terminal simple permettant de se connecter à de nombreuses bases de données réparties sur tout le territoire, et d'avoir un dialogue interactif avec elles, tout en disposant des services d'un annuaire téléphonique électronique. L'opération fut un succès, les terminaux étant distribués gratuitement en remplacement de l'annuaire papier, et la Direction Générale des Télécommunications ayant réussi par des encouragements moraux et financiers à susciter un grand nombre d'applications et donc de services disponibles à travers tout le pays, créant un chiffre d'affaires important pour de nombreux prestataires de services privés, de toute taille.

A cet égard, il est intéressant de rappeler qu'à l'époque, le gouvernement français avait hésité entre deux projets étudiés simultanément par le DGT: le vidéotex ou le fax gratuit à domicile. La possibilité de mettre gratuitement de petits fax numériques peu coûteux à la disposition des abonnés aux téléphone (professionnels et particuliers) était une idée intéressante, mais fut ressentie par les services postaux comme susceptible de menacer le courrier traditionnel. Le gouvernement trancha finalement en faveur du vidéotex et du Minitel. Cependant, l'industrie française a ainsi acquis, grâce aux crédits d'étude, un savoir-faire important dans le domaine du fax.

Autre exemple d'innovation technologique introduite de façon volontariste et qui s'est rapidement étendue à d'autres secteurs: la carte téléphonique à puce, conçue à l'origine pour résoudre les problèmes de fraude et de vandalisme dans les cabines publiques, et qui s'est généralisée à toutes les applications informatiques, bureautiques, monétiques et audiovisuelles.

L'évocation du vidéotex me conduit à rappeler la proche parenté qui existe entre ce service et Internet. Dans les deux cas, il faut un terminal simple et bon marché (hier Minitel, aujourd'hui, un PC), ainsi que des protocoles par paquets robustes et la prolifération de banques de données. La différence tient à ce que le vidéotex est à usage purement national, que son terminal n'est pas aussi sophistiqué que les PC actuels et qu'Internet permet d'accéder à des données plus riches (dont les images animées) à l'échelon planétaire.

A ce propos, on assiste depuis quelque temps à un débat sur l'avenir du réseau téléphonique, certains experts estimant que ce dernier sera supplanté par Internet, qui offre une énorme diversité de services pour les entreprises et les particuliers, ainsi qu'une impressionnante réduction dans le coût des transmissions. Je ne suis pas convaincu par cette argumentation. En effet, il faut rappeler qu'Internet utilise la même infrastructure que le réseau téléphonique (lignes louées à longue distance et boucle d'abonné), mais que les opérateurs de réseaux téléphoniques appliquent des critères rigoureux afin de garantir la qualité du service offert. Ce n'est pas le cas d'Internet à l'heure actuelle, où l'absence de gestion globale et continue des flux de trafic entraîne régulièrement des situations de saturation. Si l'on veut faire d'Internet une alternative crédible au réseau téléphonique, il faudra donc améliorer considérablement la qualité du service. A cet égard, et j'en reparlerai tout à l'heure, le satellite peut constituer un outil particulièrement efficace.

Je viens d'évoquer les communications internationales. Dans ce domaine, je voudrais souligner deux révolutions importantes.

La première est l'apparition des câbles sous-marins, par exemple entre la France et la Tunisie. Ils ont permis d'éliminer les liaisons radio en ondes courtes, d'une qualité aléatoire. Par exemple, il existait 12 voies radio de ce type entre la France et la Tunisie, et au début de ma carrière, j'en ai amélioré le fonctionnement en mettant en place un système de numérotation à distance par les opératrices sur les réseaux téléphoniques à l'autre extrémité de la liaison, ce qui a permis d'accroître l'efficacité d'utilisation des circuits et d'éliminer les disputes entre opératrices, longues et fréquentes. Je suis heureux de rappeler que sa première application fut faite sur la liaison Paris-Tunis, avec l'aide d'un ingénieur en chef des télécommunications, M. Brahim Khouadja, que vous connaissez bien puisqu'il fut Ministre des Postes et Télécommunications de Tunisie.

Les câbles sous-marins, quant à eux, comportaient initialement des répéteurs relativement rapprochés, et équipés de tubes. Ceux-ci furent ensuite remplacés par les transistors, puis par des circuits intégrés. Enfin, dans les années 80, on est passé à la fibre optique qui permet d'accroître considérablement la capacité des câbles sous-marins et d'augmenter l'espacement entre répéteurs. Dès lors, le coût du trafic téléphonique international ou du transfert de données a chuté sensiblement.

La transmission radio, cependant, n'avait pas dit son dernier mot et la seconde révolution est celle des télécommunications par satellite. Au début des années 60, on assiste à un grand débat sur le choix de la meilleure technologie satellitaire: satellites à défilement du type "Telstar", ou satellites géostationnaires dont le premier sera "Early Bird" en 1965.

Ce sont ces derniers qui l'ont emporté pour les applications téléphoniques et le transfert d'images, les satellites géostationnaires étant devenus incontournables pour la diffusion de programmes de télévision analogiques et numériques, pour les réseaux d'entreprises et pour le multimédia, y compris l'Internet par satellite. Ce dernier service ne nécessite aujourd'hui qu'un PC, une parabole de petite taille (60cm) du même type que celles utilisées pour la télévision, et un décodeur numérique, la voie retour utilisant le réseau téléphonique public. EUTELSAT a d'ailleurs réalisé récemment en Tunisie deux démonstrations d'Internet par satellite, avec un plein succès.

Trente ans après ce débat, il est donc intéressant d'observer un retour des satellites à défilement sous la forme des constellations de satellites en orbite basse, actuellement en cours de mise en place. A mon sens, ces systèmes se caractérisent par la complexité de leur mise en œuvre, entraînant un coût très élevé. Ils offrent évidemment une couverture mondiale et la possibilité de communiquer grâce à des terminaux de dimensions relativement réduites, mais en court-circuitant les réseaux nationaux, ce qui peut poser des problèmes de recettes pour les opérateurs nationaux.

Cependant, j'estime que l'on pourra très prochainement disposer du même service avec des satellites géostationnaires, car les techniques de déploiement de très grandes antennes à bord des satellites sont pratiquement au point. Le coût des communications sera alors sensiblement inférieur à celui offert par les systèmes en orbite basse, et la pollution de cette dernière par des débris de satellites en fin de vie sera évitée. Quant au temps de propagation, souvent présenté comme un avantage des systèmes en orbite basse par rapport aux systèmes géostationnaires, des essais récents que j'ai moi-même effectués m'ont permis de constater que le temps de traitement du signal numérique dans les systèmes LEO était loin d'être négligeable.

Avec ces systèmes en orbite basse, je viens d'effleurer le sujet des communications mobiles, et dois avouer ma surprise devant le développement spectaculaire du téléphone mobile. De par mes fonctions, j'étais depuis longtemps un habitué du téléphone de voiture. Cependant, cette technique était très élitiste, réservée à un nombre fort restreint d'utilisateurs et son coût était élevé. Au début des années 80, j'avais négocié avec les Télécommunications allemandes la création d'un système moderne de téléphonie mobile pour nos deux pays.

Après un premier accord relatif à un système analogique à 900 MHz, nous nous sommes ralliés à partir de 1986 à la technologie numérique, avons défini des normes et proposé à tous nos partenaires européens de nous rejoindre: c'était la norme GSM, définitivement introduite en France en 1992. Son succès européen, puis mondial, a été remarquable. Ce système répond en effet à un besoin, dans un monde où la mobilité de personnes ne cesse de croître, tandis que son prix, grâce à la concurrence, ne cesse pour sa part de diminuer. Je voudrais rappeler à ce propos que lorsque j'ai commencé ma carrière, 4 millions de personnes en France étaient abonnées au téléphone fixe (technologie qui existait depuis près d'un siècle), alors qu'aujourd'hui, l'on vient de franchir en France le cap des 9 millions d'utilisateurs du téléphone portable, qui a moins de dix ans d'âge.

Ce domaine de la téléphonie mobile illustre donc parfaitement les éléments que j'évoquais au début de ma présentation, à savoir les rôles combinés de l'innovation technologique et des changements réglementaires, qui débouchent sur une croissance parallèle de l'offre et de la demande. S'y ajoute certainement, dans le cas du téléphone portable, un élément tenant aux mœurs de l'époque, et qui fait déjà les délices des sociologues.

Ce panorama de l'histoire récente des télécommunications ne serait pas complet si je n'évoquais pas l'évolution de la télévision. Pendant longtemps, télévision et télécommunications ont suivi des chemins séparés. Leurs utilisateurs étaient les mêmes (le grand public), mais les terminaux étaient totalement différents. Leur évolution n'est d'ailleurs pas achevée, car il faudra encore au moins une décennie avant que le prix des écrans plats de grande dimension ne devienne abordable, ouvrant enfin la voie à la véritable télévision "à haute définition", qui n'a guère de sens à l'heure actuelle en raison de la petite taille des tubes cathodiques.

La télévision se caractérisait également par une offre relativement limitée, la rareté des fréquences radio-électriques disponibles pour la diffusion terrestre ne permettant de proposer au public qu'un petit nombre de chaînes.

L'avènement de la diffusion satellitaire, à partir des années 85-90, a permis un premier progrès en mettant à la disposition du public un nombre plus important de chaînes diffusées en mode analogique et disponibles soit via les réseaux câblés, soit en réception directe grâce à des antennes individuelles dont le coût et les dimensions avaient beaucoup diminué. On passait ainsi d'une demi-douzaine de chaînes à quelques dizaines. La Télévision Tunisienne, TV 7, a donné l'exemple en utilisant la couverture euro-méditerranéenne des satellites EUTELSAT.

La véritable révolution a cependant été l'introduction de la technologie numérique. Grâce aux travaux effectués en Europe au sein du groupe D.V.B., la diffusion de télévision numérique fut normalisée à l'échelle continentale, ce qui ouvrit la voie à la réalisation par l'industrie de terminaux de réception grand public peu coûteux. Les prévisions faites par EUTELSAT indiquaient que l'année 1996 serait celle où la télévision numérique pourrait être proposée aux consommateurs en Europe et aux Etats-Unis.

On constata qu'effectivement, un certain public était prêt à payer un peu plus cher pour bénéficier d'un choix considérablement accru de programmes, et notamment de chaînes thématiques. Ce phénomène est particulièrement net en France et en Italie, où en 24 mois, certains diffuseurs de télévision numérique approchent du million d'abonnés. Bien entendu, la diffusion de télévision analogique ne va pas cesser pour autant, les centaines de millions de téléspectateurs européens n'étant pas encore tous prêts à faire la dépense d'un décodeur numérique. Cependant, la transition est engagée et elle sera largement irréversible, tout comme le fut en son temps le passage du noir et blanc à la couleur.

Comment se présente l'avenir du vaste secteur de la communication ?

Un premier point tient à l'évolution technologique. Celle-ci est favorable au grand public, puisque des systèmes de communication réservés jadis aux opérateurs ou à des catégories restreintes de clientèle (télécommunications spatiales, téléphonie mobile, etc.) sont désormais accessibles à tous grâce à la compacité des matériels et à leur coût modéré, et à la chute du prix des communications. L'appétit grandissant des consommateurs rencontre une offre de plus en plus élaborée, et le marché se spécialise en "niches".

Un second point consiste dans l'effacement généralisé des frontières nationales. Une multitude de "joint-ventures" permettent aux opérateurs, qu'ils soient historiques ou nouveaux venus, de choisir des marchés spécifiques, de tirer parti de savoirs-faire et d'expériences particuliers, et de simplifier les problèmes d'investissement.

Cette réduction du rôle de l'Etat en tant qu'investisseur ou opérateur est cependant compensée par une importance accrue en tant qu'autorité de réglementation, afin d'assurer le respect de la notion de service universel, la définition claire et acceptée de règles de concurrence loyale, et, dans les pays dont l'équipement en infrastructures de base n'est pas achevé, d'éviter que telle ou telle partie de la population ne soit sacrifiée aux intérêts particuliers d'un groupe souhaitant "écrémer" le marché.

S'il n'existe donc pas de modèle général et absolu, les différences sont grandes entre le monde d'aujourd'hui et celui que j'ai connu au début de ma carrière, à savoir un seul opérateur historique par pays, qui était la branche technique de l'Administration des Postes, jouissant d'un monopole qui l'empêchait parfois de tenir compte des aspirations du public, mais qui réussissait en général à mettre en place un réseau de base satisfaisant. Je constate par contre qu'au Royaume-Uni, le concept de privatisation est apparu plus tôt qu'ailleurs en Europe, probablement parce que le public y était moins satisfait des prestations de l'opérateur historique.

Je voudrais indiquer également que si l'évolution technique se traduit par une diminution des effectifs employés dans les applications traditionnelles, l'avènement de nombreux nouveaux services et le développement des prestations commerciales aux clients ont un important effet générateur d'emplois.

La Tunisie, comme les autre pays, ne reste pas à l'écart de cette évolution. Lorsque l'on doit développer une infrastructure, c'est une chance de pouvoir profiter de la baisse des coûts résultant du progrès technologique. C'est également une chance de pouvoir disposer d'un tissu de compétences, résultat de la mise en place d'un système de formation bien adapté.

Je suis donc heureux et honoré d'avoir pu participer à ce cycle de séminaires ayant pour objet de vous sensibiliser, vous élèves ingénieurs de l'Ecole Supérieure des Communications, à l'évolution des technologies de l'information et des communications. Si ma propre carrière a été riche en innovations techniques et en développements commerciaux, je puis vous assurer que vous serez appelés à jouer un rôle très important dans une époque tout à fait passionnante. Les communications seront l'une des locomotives du progrès économique au siècle prochain, et vous en serez les acteurs privilégiés.

Pour conclure, je voudrais vous citer une récente déclaration de M. Michel Camdessus, le Directeur général du Fonds Monétaire International, car je souscris pleinement à la théorie qu'il avance, celle des "trois mains" nécessaires au progrès économique et social: la "main invisible du marché", selon l'expression d'Adam Smith chère aux libéraux, la main de la justice c'est à dire celle de l'Etat et la main de la solidarité nationale et internationale. Il faut que ces trois mains puissent travailler ensemble.

Je voudrais remercier le Directeur de l'Ecole Supérieure des Communications, Monsieur Ammar, de son invitation à vous présenter cet exposé. Ceci m'a donné l'occasion de visiter une nouvelle fois votre beau pays, où j'ai beaucoup d'amis, et je suis heureux de rappeler que la Tunisie est le seul pays, hors de l'Europe continentale, à avoir été admis comme membre observateur d'EUTELSAT. Je rappelle également que la chaîne nationale tunisienne TV7 à donné l'exemple, dans le Bassin méditerranéen, de l'utilisation du système EUTELSAT. Je suis certain que la coopération entre votre pays et EUTELSAT va continuer à se développer, car beaucoup de nouvelles applications sont désormais possibles grâce à l'essor de la technologie, notamment satellitaire.

Je vous remercie de votre attention.


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Il y a 110 ans .... ou presque...

Ce n'est qu'en 1889 qu'une "Conférence technique convoquée par le Directeur général des postes et télégraphes, réunissant les fonctionnaires de l'administration centrale chargé d'un service technique, les ingénieurs de paris et des départements et les contrôleurs ou anciens contrôleurs exerçant leurs fonctions à Paris" s'est "prononcée pour la constitution des doubles fils de tous les circuits téléphoniques", comme l'a d'ailleurs fait le Congrès international des électriciens qui s'est réuni un peu plus tard dans la même année.

Il est rappelé que, jusqu'alors, les communications téléphoniques étaient transmises sur le réseau existant, conçu pour le service télégraphique, réalisé par des circuits à un fil avec retour par la terre.

de la part de Guy Gerbier.

2/2/99.

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