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Où va l'Europe, après le référendum du 29 mai 2005 ?

Jacques Moreau, Délégué Général d'Europe et Société

La crise européenne ne date pas de l'échec du référendum de mai dernier. Depuis plusieurs années l'Europe marque le pas. Le traité constitutionnel avait certes pour objectif de régler quelques problèmes institutionnels, notamment différentes procédures de son fonctionnement, mais sans traiter le véritable problème de fond, à savoir : quels projets pour l'Europe et pourquoi l'Europe ?

Trois parties dans l'exposé : un rappel de quelques éléments importants, la situation particulière dans laquelle se trouve la France, quelles sont les sorties possibles.

Rappel de quelques éléments importants :

- 1986, l'Acte Unique (création du marché unique et le vote à la majorité qualifiée pour toute une série de problèmes)... Jacques Delors, Président de la Commission (1985-1995)...1992 Traité de Maastricht et la création de l'UEM (Union Economique et Monétaire) et bientôt de l'euro... autant d'évènements qui permettent à l'Europe de sortir de son immobilisme, et donc de pouvoir progresser plus facilement. Il existe alors un contexte politique favorable à une avancée de l'Europe, d'autant plus que durant cette période, l'Europe bénéficie d'une bonne croissance économique favorable à l'emploi.
- puis arrivent les évènements de 1989/91, la chute du mur de Berlin, et la disparition de l'URSS. Il n'existe donc plus de péril à l'Est. Apparaissent de nouveaux Etats demandeurs à la fois d'Europe et de sécurité, dont les élites ont été formées en partie aux USA, et qui sont donc proches de la culture anglo-saxonne et plutôt éloignés du modèle continental (germano-français).
- la mondialisation autour d'une super puissance les Etats-Unis...

L'Europe n'était pas prête à approfondir son organisation pour affronter cette nouvelle situation. Pourtant il était impossible de refuser l'élargissement face à une forte demande des pays de l'Est qui visaient deux objectifs :

- une protection à travers l'adhésion à l'Union européenne et à l'OTAN,
- une modernisation de leur économie, d'autant plus difficile que l'Europe occidentale entendait imposer son modèle, donc tout l'acquis communautaire.
L'élan qui avait été imprimé par la France, l'Allemagne, le Benelux, l'Italie, ainsi que par des responsables politiques, est confronté à un changement total, et ces responsables deviennent européens non plus de conviction, mais de raison. Cette atonie politique coïncide avec une atonie économique.

Il existe aujourd'hui une Europe élargie à 25 et bientôt à 27/28, avec un problème de gouvernance, car on n'a pas pris le temps de modifier les institutions et les modes de prises de décisions pour affronter cette situation. L'Europe est en panne économiquement, mais aussi en panne de projets. Certes la stratégie de Lisbonne (2000), (...faire de l'Europe l'économie de la connaissance la plus dynamique du monde...) tend à exprimer la façon dont on conçoit l'avenir de l'Europe. On trace dans ce but quelques objectifs, mais il appartient désormais aux Etats de les mettre en œuvre l'Union n'ayant plus les moyens pour agir à la place des Etats. Ces objectifs ambitieux sont loin d'être atteints aujourd'hui, en particulier dans le domaine de la formation et de la recherche. L'Europe est devenue impuissante, avec un affaiblissement de la Commission. Ce n'est plus une Commission conquérante. Elle est soumise aux critiques du Parlement qui intervient essentiellement sur le budget ou, parfois, pour censurer le travail de la Commission, ce qui complique le travail de son nouveau Président, José Manuel Barroso et de son Collège.

La situation française :
Le non de mai 2005 peut s'expliquer par la volonté de marquer une désapprobation de la politique gouvernementale actuelle, par une crise de la représentation politique dans le pays, par une crainte de l'avenir... mais il faut laisser de côté tous ces éléments qui relèvent de la situation intérieure du pays, pour expliquer autrement le refus français. On peut invoquer trois éléments :

- l'Europe ne peut progresser que sur une culture de compromis, ce qui ne correspond pas à la culture politique française. L'intérêt général est défini par le haut dans notre pays, et non pas à partir des intérêts propres aux différents acteurs, notamment économiques et sociaux, ce qui rend difficile l'acceptation du processus bruxellois.
- face à la réalité économique mondiale, l'économie de marché, on se maintient dans une culture française qui vit malaisément ce type d'organisation. Pour la France, la période bénie, fut les années soixante, l'époque de la planification, de l'importance des entreprises publiques. Or, depuis le Traité de Rome, la dynamique communautaire est essentiellement fondée sur le marché. Certes, c'est un marché régulé, ce qui n'empêche pas les critiques vis-à-vis de Bruxelles ( la directive services de Mendelson, la politique agricole commune...). La campagne sur le référendum a fait resurgir ce problème.
- la France, forte de son rôle historique lors de la naissance de l'Europe ne se reconnaît plus dans une organisation à 25 pays. On a longtemps pensé que l'Europe était une continuation de la France, ce qui pouvait s'admettre dans une Europe à six ou à neuf pays. La configuration actuelle de l'Europe est devenue une construction dans laquelle les français ne se retrouvent plus. La donne a changé, d'où une certaine peur, et une tentation de repli.

Quelles sont les sorties possibles ?
Je ne crois pas à une Europe avec des cercles concentriques, au noyau dur autour du couple franco-allemand, qui est mal supporté aujourd'hui. L'Allemagne, par exemple, est en train de discuter aujourd'hui avec la Russie, d'où cette décision du gazoduc au grand dam des polonais. Qui plus est la Russie va avoir besoin de l'Allemagne, notamment sur le plan des échanges économiques.
Les autres pays qui entourent l'Allemagne, la Hongrie, la Pologne souhaitent peser dans les décisions. On est en train de rebattre les cartes, ce que Tony Blair avait fort bien compris. Certes le bilan de la présidence britannique est limité, car on bute sur la politique financière, ce qui empêche toute nouvelle avancée. En 2007, nous allons traverser une nouvelle campagne électorale, durant laquelle on parlera à nouveau des problèmes européens, pas nécessairement en phase avec le nouveau gouvernement allemand.
Le climat n'est donc pas favorable pour un certain volontarisme. Prenons le débat autour de la directive concernant la libéralisation des services, on constate une très grande diversité dans le positionnement des pays.
Pour demeurer cependant un peu optimiste, après le règlement des problèmes financiers de l'Europe, il est vraisemblable que des décisions importantes seront prises sur les questions de sécurité, de justice, d'immigration. Mais pourra-ton progresser dans le domaine de la gouvernance de l'Europe qui permette au Conseil d'avancer dans des secteurs comme la politique étrangère, commerciale, de la recherche ? Rien n'est sûr.
Je pense que discrètement, on assistera à la mise en place d'une politique étrangère avec Javier Solanna, autour d'initiatives qui ne partiront pas de la Commission. Ce sera surtout le fait du Conseil européen. Le penchant supranational, fédéralisant va se ralentir, mais cela ne veut pas dire que l'Europe va se déliter.
Face aux problèmes posés dans le domaine de l'énergie, du Moyen-Orient, dans nos relations avec les pays émergents (Chine, l'Inde...), l'Europe sera bien obligée de formuler des propositions.
Quoi qu'il arrive, le plus grand risque est de voir une diminution du rôle de la Commission, au profit d'une prise en compte par le Conseil, et parfois par le Parlement, des intérêts des Etats, au détriment des intérêts généraux de l'Union.

Résumé rédigé par C.Dubonnet, (Conférence donnée au Colidre le 19 octobre 2005)