Comité d'information et de liaison des cadres dirigeants
retraités de France Télécom

Groupe Histoire du Colidre

version de mai 2001

RÉCENTS SOUBRESAUTS EN TRANSMISSION (1975 - 2000)

Quatre révolutions viennent de bouleverser le monde de la transmission en France depuis un quart de siècle ; une cinquième est en route

    Il peut ne pas être inutile de tenter de fixer par écrit ce qui peut subsister dans la mémoire d'un transmetteur de ces soubresauts - dont les premiers nous semblent déjà si lointains. Le rappel peut en paraître banal, mais la convergence est frappante.

1° LE NUMERIQUE

    L'arrivée du numérique, en 1975. est bien connue, la découverte qu'un câble ordinaire en cuivre à paires symétriques, pouvait voir - sur une certaine proportion de ses paires - sa capacité multipliée par trente, augmentait de façon soudaine la richesse de notre patrimoine déjà enterré (câbles dits "micables" à 2 Mbit/s).     Conséquences indirectes : la nécessité (progressivement et souvent plus ou moins tardivement acquise) d'une certaine compétence en transmission dans les DR - jusqu'alors la matière grise et l'aristocratie intellectuelle étaient le privilège de la commutation - et de modifications de compétences administratives ; la DRN n'ayant plus désormais le monopole de la transmission, celle-ci n'était plus réservée au domaine de l'interurbain ( décision DG /1500 et la suite... }. .
    Dans l'interurbain précisément l'analogique se portait bien, et pour des raisons évidentes : il était plus aisé et moins onéreux à cette époque d'installer quelques amplis analogiques de place en place que de véritables petits ordinateurs (un répéteur régénérateur n'est pas autre chose) : un 12 Mhz (2700 voies) analogique coûtait moins cher qu'un 140 Mbit/s (2000 voies numériques) et acheminait plus de trafic. Et le 60 Mhz analogique a été mis en œuvre à grande échelle sur le RIC à partir de 1978.
    Le numérique sur le RIC a fait néanmoins son apparition progressive : le 52 Mbit/s sur coaxial à partir de 1976, et le 140 à partir de 1980.

2° - LA FIBRE OPTIQUE

    Cette révolution nous est également familière ; elle s'est effectuée en 2 étapes :

  1. la première a concerné l'arrivée du multimode, à 0,8 micron d'abord, à 1,3 ensuite, grâce à l'arrivée des composants adéquats. La transmission restait encore plus ou moins intuitive, les lois classiques de l'optique géométrique étant conservées ; le câble TUILERIES - PHILIPPE AUGUSTE, entre deux centraux parisiens, liaison prototype, a été ouverte au trafic en octobre 80 ; la généralisation à l'ensemble des DR a suivi, rapide et massive, notamment en Ile de France. Là encore, les DR étaient en avance, par rapport à la transmission à grande distance.
  2. La limitation en portée et en débit était néanmoins contraignante. Le passage au monomode s'imposait. La théorie est complexe à maîtriser (l'application des lois de Maxwell n'est pas toujours intuitive) et la technique devait faire des progrés tant pour la fabrication de la fibre que pour sa mise en oeuvre : souder une fibre à moins d' 1/10 de micron, dans la gadoue d'un chantier de câble, n'est pas trivial, et les réflectomètres n'étaient guère opérationnels (à l'époque, uniquement à laser à solide, qu'il fallait un bon véhicule pour déplacer).

    Le démarrage en interurbain, à la DVRN, a donc été plus laborieux. La mise en service de liaisons maquette, LE MANS - LA FLECHE et LA FLECHE - ANGERS, n'a été opérée qu'en 1984 alors que la SNCF, avec 2 ans d'avance sur la DVRN, ouvrait à son trafic à la même époque son PARIS - ANGERS. La DVRN en effet satisfaite des investissements faits sur coax et sur Hz, ainsi que de ceux, en cours, destinés à la sécurité et à la surveillance (le futur SPARTE) estimait disposer d'un réseau tout à fait convenable en qualité comme quantité.
    Changement de perspective avec l'arrivée du TAT- 8, câble transatlantique sous-marin à fibres optiques, en 88, avec une branche anglaise et une branche française. Malgré les diversités d'itinéraire, en coax et en Hz, les coupures d'exploitation pour incidents divers se multiplient sur la prolongation du câble sous-marin en territoire français ; au vu des résultats d'exploitation au cours de l'été 89, ATT persuade ses clients de passer par Londres plutôt que par Paris pour le trafic international de transit. La DVRN se décide alors à passer à la vitesse supérieure ; à partir de 1990 le programme interurbain est de plus de 3.000 km/an, couvrant le RIC en 5 ans.

3éme révolution : la Hiérarchie Synchrone

    L'ambition de la "synchronous digital hierarchy" (SDH) est immense, et se propose de normaliser tout le domaine de la transmission, exploitation comprise. Le premier pas dans la normalisation internationale a été franchi à Séoul lors de la réunion UIT de février 89, et présentait, dans le cadre d'une conception extrêmement rationnelle et intégrée, un grand nombre d'avantages :
-Modélisation des fonctionnalités et normalisation des sous-ensembles de tous les équipements typiques, et par là réduction des coûts, le travail de l'équipementier se limitant à l'assemblage de circuits intégrés lancés à grande échelle, réalisés en grande série.
-Normalisation des systèmes de ligne (plus question dans chaque cas d'inventer un débit et un code-en ligne, des voies de service, etc..) à tous débits concevables, à partir de la brique de base à 155 Mbit/s.
-Etablissement d'une hiérarchie numérique universelle, permettant les échanges entre moyens de transmission internationaux ( après d'âpres luttes entre les hiérarchies plésiochrones jusque là existantes américaines et européennes, se terminent par la mise en infériorité complète du 34 Mbit/s européen par rapport au 45 américain...) avec insertion aisée de tous les débits plésiochrones classiques jusque là utilisés
-Sécurisation considérablement accrue dans le cadre de la mise en œuvre d'anneaux munis d'équipements permettant l'insertion-extraction (MIE).
-Possibilités d'exploitation extrêmement vastes (débits de service très importants, octets de service normalisés, utilisation de gestionnaires centralisés- les GLM etc...) permettant mises en service à distance, surveillance, télé-exploitation ...
    France Télécom, encore sous-équipée en monomode au début des années 90 comme on l'a vu précédemment a su profiter, en interurbain, en Ile de France et partout de l'arrivée de la SDH pour investir massivement dans cette technique, attirée par les avantages suivants :
-réduction des prix des équipements
-sécurisation
-facilités d'exploitation
    En ce qui concerne le troisième point, cependant, des difficultés très notables ont été rencontrées au départ ; les logiciels n'étaient guère an point et tout porte à penser que les effets d'annonce, aussi bien chez les constructeurs que chez les opérateurs étrangers, ont quelque peu enjolivé la réalité. France Télécom a certes en partie au moins joué le rôle de pionnier, quant à !a mise en oeuvre des GLM. Cependant on peut affirmer avec le recul du temps que la direction prise était la bonne, et les résultats finaux ont justifié les efforts engagés. Le clou de l'affaire a été enfoncé en juillet 98, avec la mise en œuvre pour la première fois, à pleine charge, d'anneaux synchrones à 2,5 Gbit/s (16 x 2.000 voies), à l'occasion de la coupe du monde de football. Malgré quelques difficultés techniques sérieuses, dues à une expérience encore limitée à l'époque dans ce domaine, aucune perturbation majeure du trafic, - heureusement - !- n'a été constatée (mais ceci est une autre histoire, qui mériterait d'être contée...).
    On assiste par suite depuis peu à une véritable explosion des débits offerts, les débits les plus élevés deviennent accessibles: 10 Gbit/s (64x140 Mbit/s , soit l'équivalent de 120. 000 voies téléphoniques), 40 Gbit/s... à des prix de plus en plus raisonnables. Le prit du débit à transmettre ne cesse de baisser, (l'essentiel du coût notamment) étant de gérer, sécuriser, exploiter, surveiller ce débit afin que le client ait satisfaction.

4ème Révolution ! L'EXPLOITATION

    Celle-ci est indépendante des 2 précédentes. Bien avant l'arrivée de la SDH, et sa mise en œuvre généralisée, elle était déjà engagée de façon très importante. Avec un retard manifeste sur les commutants, les transmetteurs se sont rendu compte de la nécessité de laisser le moins possible de personnel technique à demeure dans les salles d'équipements, même importantes, mais de constituer des centres de surveillance en tirant parti enfin des informations très riches disponibles, jusque là inutilisées. Ainsi peut-on exploiter à la fois de façon fine (surveillance de la performance, analyse en temps différé, etc... ), détaillée. efficace et rapide grâce au télédiagnostic, aux téléactions, et cela, surtout 24h/24. Des aléas considérables ont été rencontrées, (en particulier SPARTE - le systèmede surveillance le plus important, celui du réseau interurbain - a bien failli ne pas voir le jour, en raison d'une défaillance de la STERIA en 1985) ; progressivement cependant les difficultés ont été résolues, un réseau de service permettant la circulation des informations de gestion et de signalisation s'est monté, les centres d'exploitation du réseau interurbain dans les diverses régions se sont équipés, et le grand centre d'exploitation du réseau national, à Toulouse - Blagnac, a vu le jour au début des années 90 ; celui de l'Ile de France, à Montsouris, a suivi en 1994.

    Comme il a été dit plus haut, la SDH a apporté, dans le domaine de l'exploitation, d'énormes possibilités et un potentiel. considérable (trop peut-être ? !). F.T. sur ses anneaux s'est servi. dès le début, des GLM pour effectuer les constructions, la surveillance et la maintenance des équipements, et après les cafouillages initiaux, en a tiré des gains de temps et de personnel considérables, tout en accroissant son efficacité.

    Petite remarque cependant : qu'a-ton fait et que fait-on des immenses fichiers accumulant les informations de "performance", - la liste de toutes les menues dégradations (SAE, SGE... ) insensibles en général à l'utilisateur mais révélatrices d'une anomalie ou d'une dégradation (défaillance matérielle ou logicielle d'un équipement, mauvaise qualité d'un connecteur optique ou électrique...)? La détection de celles-ci permet de mieux connaître notre réseau et dans bien des cas d'éviter des pannes traumatisantes qui manquent rarement de se produire par la suite, et de faire de la maintenance préventive. Mais à l'heure actuelle la culture de la véritable qualité n'est guère pratiquée ; la qualité n'est qu'un alibi, ou un argument publicitaire. On jette à la poubelle toutes les informations de performance et on ne s'occupe pas de qualité, sinon pour en parler, d'abondance, dans le discours commercial.

L'AVENIR

    Les révolutions vont se poursuivre. Il est même impressionnant de voir à quel point, depuis le début de l'aventure des fibres optiques, les réalisations techniques suivent de très près, talonnent même les recherches de laboratoire ; on avait l'habitude d'un plus grand décalage, d'inévitables difficultés et d'incompressibles retards entre les mises au point de laboratoire et les premières réalisations opérationnelles sur le terrain. On a eu cette fois de la chance avec la physique.

1 °- L'arrivée conjuguée du multiplex en longueur d'onde et de l'amplificateur optique permet d'une part de multiplier par un facteur considérable le débit offert potentiellement dans le parc des F.O.existantes ou à poser, d'autre part de commencer à incarner dans la réalité les conceptions jusque là futuristes de l'optique intégrée (brasseurs et répartiteurs optiques, etc... ). Cette révolution là est déjà sur le terrain ; notons en particulier l'arrivée des derniers câbles à F.O.transatlantiques, sans répéteurs (les transmetteurs ont retrouvé les joies de l'ingénieur spécialiste de l'analogique, du brassage des fibres, etc-sur des milliers de km ..)

    Ainsi se çonfirme ce qui a été dit plus haut, et de façon éclatante : le débit en soi ne coûte presque plus rien, le problème est de savoir le gérer ; d'ou l'intérêt primordial de progresser parallèlement dans la gestion.

2°- Les GLM de 2ème génération permettent précisément de gérer désormais, non seulement les équipements, mais les entités de réseau. Une seule machine peut désormais exploiter tout un réseau complexe (d'un constructeur donné), revers de la médaille : l'exploitant est alors relativement davantage dans la main de son fournisseur.

3°-Par ailleurs une nouvelle révolution se profile : le brasseur auto-géré ; les conceptions des ingénieurs de l'IP (Internet Protocol), déteignent sur les autres domaines des télécommunications, tant dans les équipements ATM que dans les futurs brasseurs en transmission (dont l'arrivée est rendue nécessaire par la croissance extraordinaire des capacités en transmission ; le VC4- 150 Mbit/s est devenu une entité trop petite, il y en a trop, (il faut pouvoir se passer d'un répartiteur physique) ; les nouveaux équipements seront auto-gérables et établiront eux-mêmes leurs tables de routage ; les opérations de contruction, comme de re-routage de cas d'incident, s'établiront d'elles-mêmes. Ie métier de transmetteur ne disparaît pas pour autant, mais les préoccupations de type "temps réel" décroîtront très fortement.

Ceci ouvre la porte aux réseaux de nouvelle génération (NGN) ; des machines importantes intégreront l'ensemble des fonctions de télécommunication (brassage, commutation, transmission), un même protocole pourra gérer IP, ATM, brasseurs optiques et WDM..., Tout ceci constituera une couche unique, où les divers services, chacun conformément à leurs droits respectifs, puiseront en fonction de leurs besoins...les années futures nous surprendront encore.
Copyright(c) . Created: 16/06/01 Updated: 17/06/01