Comité d'information et de
liaison des cadres
dirigeants
retraités de France Télécom

Paris, le 18 avril 2004
Propos recueillis par Philippe GUERRIER, JDN (05/04/2004)

Jean Grenier
Président
Aepoc
Association Européenne
pour la Protection
des œuvres et Services Cryptés

Jean Grenier
"Gare à la piraterie électronique autour de la télévision sur ADSL"
Le président de l'Aepoc, le lobby anti-piratage des grands acteurs de l'audiovisuel, s'inquiète des nouvelles possibilités de copie illicite qu'offrent les services IP cryptés.

JDN. Quelle est votre définition du piratage électronique ?

Jean Grenier. Nous nous concentrons sur la lutte contre le piratage audiovisuel à partir d'outils électroniques illicites comme les cartes pirates à intégrer dans les décodeurs de bouquet satellite. C'est un combat permanent que nous menons. L'Aepoc n'a pas vocation à combattre les pirates sur le front technique. C'est un forum de discussion entre groupes ayant des intérêts dans le développement de services audiovisuels cryptés et qui doivent faire face à ce fléau social.

De quelle manière l'Aepoc intervient-t-elle ?
Nous cherchons à convaincre les autorités des pays européens d'ériger des législations efficaces contre les pirates et de sensibiliser le grand public aux risques encourus en cas de découverte de l'infraction de piratage électronique. La France est de ce point de vue l'un des pays les mieux protégés au sein de l'Union européenne.

Quel est le profil des pirates électroniques ?
L'Aepoc estime à 4 millions le nombre de pirates en Europe. Ce nombre pourrait doubler dans les six prochaines années. Nous pouvons ranger les pirates dans deux grandes catégories de profil : ceux qui fournissent les instruments de piratage et les consommateurs lambda. En règle générale, nous avons du mal à convaincre les autoritées européennes de l'ampleur du phénomène du piratage électronique. Pourtant, des modèles économiques ont été mis à mal à cause de ce fléau. Cela a été le cas pour Canal Plus Horizons par exemple [NDLR : chaîne francophone de télévision à péage destinés au public africain].

Peut-on parler de filières souterraines organisées ?
Nous n'avons plus de doute sur l'implication d'organisations criminelles en Europe de l'Est et dans l'ex-Union soviétique. Mais, faute de preuves tangibles, il est difficile de remonter les pistes. Il est établi que les pirates qui travaillent sur les cartes réseaux de télévision payante sont les mêmes que ceux qui tentent de détourner les cartes bancaires. Les technologies de cartes à puce sont assez voisines. Le piratage nécessite des compétences poussées de reverse ingénierie et une connaissance assez pointue des techniques de décryptage. En parallèle, nous devons également traiter le piratage artisanal et amateur qui est encore plus diffus.


Quelles responsabilités attribuez-vous à l'Internet dans la piraterie électronique ?
Elle est connexe. Nous considérons que c'est un outil essentiel dans la chaîne du piratage. Internet permet de diffuser tous les éléments nécessaires à la fabrication de matériel illicite. Je ne remet pas en cause l'existence de l'Internet mais, en tout état de cause, le réseau des réseaux et sa capacité de propagation d'informations à l'échelle mondiale ne facilite pas notre combat. Des personnes disposant de compétences techniques très pointues se retrouvent en cercles très fermées sur des forums de discussion et communiquent avec des pseudos.

Internet est responsable de manière connexe à la piraterie électronique"

Pourquoi avoir rajouté les services audioviosuels cryptés sur IP dans vos domaines de compétences ?
L'Aepoc a commencé à s'intéresser à ce sujet l'année dernière. Des formes nouvelles de diffusion audiovisuelle apparaissent comme la télévision ADSL. Il est nécessaire de protéger également les contenus distribués sur IP, à l'instar de ceux qui sont diffusés par câble ou satellite. Les droits des producteurs, des créateurs et des éditeurs doivent être protégés en évitant le phénomène de la copie privée non autorisée et le développement d'accès frauduleux aux services audiovisuels cryptés.

Le peer to peer entre-t-il dans vos centres d'intérêt ?
Nos membres s'y intéressent. Mais l'Aepoc n'a pas engagé de réflexion particulière sur le sujet.

Obtenez-vous facilement la collaboration des fournisseurs d'accès Internet dans votre lutte ?
Nous n'avons rien à demander directement aux FAI. Les prestataires de services audiovisuels cryptés peuvent se constituer partie civile devant la justice pour réclamer une enquête en cas de soupçons. C'est à la justice de décider ou non de se tourner avec les fournisseurs d'accès pour récupérer des éléments d'enquêtes. A partir de ce moment, les FAI ne collaborent avec les officiers de police judiciaire qu'en cas de commission rogatoire émise par les juges d'instruction.


Ressentez-vous des craintes de la part des ayants droits de l'audiovisuel sur le risque de détournement des flux IP ?
Les lobbys audiovisuels comme la Movie Picture Association aux Etats-Unis sont de plus en plus attentifs à ce type de risque, compte tenu de l'éclosion des offres de télévision via ADSL. L'environnement Internet est plus ouvert que celui des bouquets numériques, ce qui nécessite des systèmes de protection spécifiques. Le développement d'applications de télévision numérique à haute définition (TVHD), sur lesquelles le groupes TF1 et TPS se sont positionnés, attire l'attention des ayant-droits. Si une personne recopie sur un DVD des contenus audiovisuels TVHD obtenus sans autorisation des ayant-droits, elle dispose de ressources vidéos de qualité bien meilleure que celle obtenue en broadcast. Toutes ces nouvelles formes de diffusion rendent nerveux le petit monde d'Hollywood.

L'interview a été réalisée avec la participation de deux membres français de l'Aepoc : Jean-Pierre Coustel, CEO de Viacess, et d'Olivier Segbo, Security Department Manager de TPS.


L'Aepoc, "think tank" des grands de l'audiovisuel en mode crypté

Créée en 1995, l’Association européenne pour la protection des œuvres et services cryptés regroupe aujourd'hui 31 entreprises de télévision numérique et de télécommunication que l'on peut répartir dans quatre grandes catégories : producteurs de services audiovisuels cryptés (groupe Canal Plus et TPS par exemple), fournisseurs de solutions de contrôle d'accès conditionnel (Viacess), fournisseurs d'infrastructures réseaux (Eutelsat) et fabricants d'équipements matériels comme les décodeurs (Thomson). Le câblo-opérateur français Noos devrait prochainement entrer dans les rangs.