La transmission dans le Réseau Télex
1969-1978

Témoignage de Claude Paris

        Jusqu'à la fin des années 1970, une part significative des échanges de télécommunications entre les entreprises, les administrations utilisait le réseau Télex ; puis le télex fut en concurrence avec la télécopie, mais conserva temporairement, grâce à l'échange des indicatifs entre les terminaux lors de l'établissement de la communication, une valeur exclusive devant les juridictions durant cette décennie.
        Les voies des faisceaux de télégraphie harmonique (" l'harmo ") étaient utilisées comme support des circuits interurbains et internationaux, entre centres d'abonnés, centres de transit (centre nodal), pour l'établissement de liaisons spécialisées et aussi pour le raccordement d'abonnés distants ; le calibre des conducteurs des câbles n'autorisait pas aux 20 milliampères, une grande portée... ; les abonnés Télex de Gap étaient raccordés sur un commutateur de Marseille via les voies d'un de ces multiplexeurs!
        Un faisceau de télégraphie harmonique est constitué de 24 voies télégraphiques à 50 bauds ; le multiplexage de ces 24 voies fut, à l'origine, à modulation d'amplitude, jusqu'à la sortie d'un premier matériel (matériel " 44 ") à modulation de fréquence ; les deux états de chacune des 24 voies télégraphiques étaient caractérisés par deux fréquences de + et - 30Hz autour d'une fréquence porteuse ; les 24 fréquences porteuses judicieusement espacées dans la bande 300-3400 Hz d'une voie téléphonique, voie support du multiplexeur, évitaient de générer des fréquences parasites d'inter modulation dans le spectre utile. Le matériel à modulation de fréquence n'était pas opposable au matériel à modulation d'amplitude.

Les matériels de transmission télégraphique.

        Les générations de matériel millésimées 1937,1944 puis 1951 étaient des fabrications à lampes (tubes) ; la première transistorisation du matériel de transmission a concerné le matériel télégraphique 51 avec les transistors SOTELEC A, "de gros boutons dorés avec un chapeau pointu " trace de la fermeture de la capsule métallique.
        Le matériel le plus important sur le réseau français fut le matériel " 60 " dont les premières mises en service significatives ont eu lieu en 1963; ce matériel faisait largement appel à des filtres passifs ; la discrimination des fréquences et surtout leur niveau était tributaire de la tenue du gabarit des filtres dans le temps ; or l'instabilité des ferrites présentant un faible entrefer, était la cause d'un besoin d'une maintenance annuelle qui ne s'est estompée que progressivement.
        En 1979 cette génération représentait plus de 60% des équipements ; le reste du parc était constitué du matériel de la génération " 70 " à hauteur de 30% (fabrication LTT et CIT) et de matériel AT (fabrication ATTEL), implantés dans le réseau à partir de 1973, succédant ainsi au matériel " 60 " auquel ils étaient opposables ; ce furent les deux derniers matériels télégraphiques de transmission analogique.
        Le matériel " TGH 70 " comportait un des premiers circuits intégrés à savoir un " discriminateur " de fréquence numérique élaboré vers 1978 dans le cadre d'un marché d'étude du CNET; ce matériel avait été conçu pour équiper les grands centres associés à une unité de commutation; si ce matériel fut le premier à s'affranchir d'un besoin de maintenance préventive, il a néanmoins souffert d'un handicap qui fut celui d'une dissipation calorifique excessive due à la présence, dans un cadre entièrement équipé, de 240 résistances de 1000 ohms sur les fils TRON et RON parcourues par le courant télégraphique de 20 mA et de 4 à 6 convertisseurs 48V/ +et - 48 V TG en haut du bâti. Lors des essais de qualification effectués sous la conduite du CNET, cet inconvénient ne fut pas mis en évidence, car le cadre bien qu'entièrement équipé et sous tension, était installé dans un hall où un courant d'air permanent léchait le haut de l'équipement, à la hauteur des cloisons...
        De plus le bâti de 120 extrémités de voie n'était économiquement pas adapté aux besoins des quelques 1800 sites de 48 (ou moins) extrémités de voie installées dans les centres régionaux (SOCOTEL) utilisées pour les raccordements d'abonné Télex distants.
Aussi pour la petite histoire, en 1973, après un échec des négociations entre les constructeurs SOTELEC et Michel Toutan, alors Directeur de l'Équipement à la Direction Générale pour obtenir une version allégée et plus économique répondant à ces besoins , Maurice du Mesnil , directeur de la DTRN et Georges Laguèrie, de retour de la DGT, me missionnaient pour trouver, dans les meilleurs délais, un équipement français existant " sur étagère "; après une consultation des offres et un examen des produits sur le marché, généralement destinés à l'exportation, nous(1) proposions un ou deux mois plus tard, l'acquisition d'un équipement conçu en 1971 par les Ateliers des Télécommunications (ATTEL) ; cet équipement (24 voies à 50 bauds, deux voies à 100 bauds et deux voies à 200 bauds) était livré à l'issue des deux mois qui suivirent, puis testé sur le réseau ; à l'exception d'un bandeau de maintenance, manifestement inadapté au vocabulaire de l'exploitant, mais qui fut rapidement modifié (moins d'un mois), le matériel s'avérait performant tant d'un point de vue technique qu'économique ; sitôt le rapport présenté, étaient conduits la rédaction de la spécification et le cahier des charges en collaboration avec nos collègues du CNET et les premières commandes lancées avec un délai de livraison de 12 mois...( le délai d'exécution des marchés auprès des sociétés SOTELEC venait d'être réduit à 15 mois)
En 1973 (ou début 1974), le CNET s'apprêtait, comme pour d'autres matériels de transmission, à lancer un marché d'études pour un futur matériel " 80 " de télégraphie harmonique ; sollicité par Daniel Battu, il nous a semblé - compte tenu de l'évolution largement amorcée vers la transmission numérique pour le téléphone (MIC 36 voies puis 30 voies et systèmes à 60 voies modulation en delta à pente asservie)- plus opportun d'orienter les études vers un multiplexeur numérique d'autant que la codification des signaux télégraphiques en signaux 0 et 1 consistait essentiellement à distinguer les deux états du signal utile des bruits parasites. C'est ainsi qu'à partir de 1975, les travaux au sein de notre maison et au CCITT ont abouti en 1978 aux recommandations de la série R101 et R111 de la Commission IX définissant deux types d'équipements.

(1) P. Guigon, J. Guéret.

La construction et l'exploitation du réseau

        En 1971, 53% des abonnés télex français étaient raccordés sur leur commutateur de rattachement par des multiplexeurs de télégraphie harmonique, achetés, mis en œuvre et gérés par la Direction des Lignes à Grande Distance ( LGD, qui avait perdu son S de Souterraines quelques années plus tôt) et sur ordre de la Direction Générale, qui, jusqu'en 1968, lançait simultanément les ordres de travaux vers les Directions Régionales et les LGD pour la construction des abonnés Télex distants !
        A partir de 1969, les demandes de mise en œuvre des équipements - avec date et capacité du faisceau (création ou extension), y compris l'ouverture de nouvelles relations -, ont fait l'objet d'un programme annuel de la part des directions régionales auprès de la DTRN, programme remis à jour trimestriellement. Les DRT ont alors émis les ordres de travaux de construction des abonnés, y compris aux centres TRN. Si aujourd'hui ces dispositions sont anecdotiques, elles ont marqué les acteurs de l'époque et ont contribué à l'évolution des relations entre opérationnels.
En décembre 1971, comme l'a relaté Monsieur Bernard Estambert (lettre du COLIDRE n° 23), il fut décidé de doubler le trafic " téléphonique " écoulé d'ici 1973 et d'accroître significativement la capacité des infrastructures ; quelques semaines après, en attendant sa mise en œuvre, et pour apaiser l'impatience des entreprises et des professionnels, Robert Galley, Ministre des Postes et Télécommunications, lors d'une conférence ou d'une déclaration à la presse, invitait ces derniers à utiliser le réseau Télex qui ne présentait pas ce même degré de saturation d'autant que les capacités d'équipements des commutateurs et les livraisons attendues des terminaux télex étaient de nature à faire face à cette nouvelle demande.
        A cette date plus d'un abonné sur deux était raccordé via un multiplexeur ; la DTRN, manifestement pas consultée, a du faire face au sursaut de la demande.
Pendant ce semestre, il ne s'est pas écoulé de semaine sans que l'un de nos collègues d'une des Directions Régionales se manifestât pour solliciter, en urgence, une extension ou une création de faisceaux. Plusieurs éléments ont permis d'y répondre ; en premier lieu une étroite collaboration entre les services et une mobilisation du personnel, puis un effort de la part des constructeurs afin de réduire les délais d'exécution des marchés et mieux planifier les livraisons et surtout, dans le cadre d'une décision de renouvellement de tous les matériels de transmission à tubes (44 et 51L), un complément de matériel en commande a pu être détourné temporairement de son objectif initial. Enfin un multiplexeur digital (TG 048), adapté aux relations suburbaines, mis progressivement à la disposition des Directions Régionales a permis de satisfaire à cet accroissement de la demande.

        Ces années sont marquées par un souci d'améliorer la qualité de service et en particulier la disponibilité du réseau ; dès la fin des années 60 pour pallier l'indisponibilité des supports de transmission (souvent des câbles endommagés suite à des travaux routiers), il a été créé des groupes secondaires prioritaires (GSPo), qui, en cas de coupure d'une artère de transmission, bénéficiait d'une priorité de reroutage ; les 60 voies téléphoniques d'un tel groupe étaient le support de liaisons spécialisées et de faisceaux de télégraphie. Un GSPo Paris-Dijon acheminait 45 faisceaux ( plus de 1000 jonctions télex) et 15 liaisons spécialisées de transmission de données.
        Dans les réseaux régionaux une voie téléphonique, souvent en basse fréquence, faisait l'objet d'une désignation préalable comme support de secours ; cette mutation nécessitait la présence simultanée de personnel aux deux extrémités souvent tributaire d'un déplacement qui engendrait des délais de rétablissement.

        Au cours de l'année 1972, une étude concernant l'indisponibilité de ces faisceaux de raccordement d'abonnés distants supérieures à deux heures, a permis de mettre en évidence les deux causes à l'origine de ces dysfonctionnements ;
        - le support de transmission pour près de 50% et ce malgré la désignation d'un support de secours partiel ou total dans 85% des relations.
        - l'énergie télégraphique (+ et - 48 V.Tg) pour environ 30% ; cette énergie était fournie par des batteries dont l'entretien et les recharges étaient moins bien assurés que celles du 48 V, alimentant les équipements de commutation et/ou de transmission dans les Centres de modulation (CDM) ou centres SOCOTEL.
        Le matériel télégraphique proprement dit était la cause d'environ 5 % des indisponibilités.
        A partir de 1974, afin de s'affranchir de la présence de personnel à l'extrémité distante du circuit, un dispositif semi-automatique de mutation par injection d'une fréquence de 330 Hz ajoutée aux 24 voies dans les deux sens de transmission, qui, détectée absente en réception, provoquait l'alarme et la mutation sur le support de secours.
        L'utilisation de convertisseurs 48V/+ 48V Tg et - 48V Tg en châssis, soit inclus dans les nouveaux matériels (TGH 70 et AT), soit dans les installations existantes par substitution à un renouvellement de batteries télégraphiques déficientes, s'est rapidement généralisée.
En 1978 j'ai le souvenir qu'au cours d'un stage à la Direction Régionale de Bordeaux et lors d'une réunion de qualité de service présidée par Maurice Gaucherand, les causes dites " TRN " représentaient moins de 6 % du taux global de l'indicateur de non-qualité du réseau Télex.

A la mémoire de Pierre Guigon et Marius Tournebise,
mes collaborateurs.

Claude PARIS
décembre 2002.


Copyright(c) . Created: 27/01/03 Updated: 27/01/03