Le Pecq le 5 février 2003

De la part de M.et Mme Jacques Petipas, qui ont obtenu l'autorisation de publier cet article paru dans le N° 304, en février 2003, de la revue "Pour LA SCIENCE".

Une épave en proie à l'acide

Des réactions chimiques menacent le Vasa, un navire de guerre suédois du XVIIème siècle.

En 1625, le roi de Suède est occupé à construire son empire autour de la mer Baltique. Il veut une flotte puissante et passe commande du Vasa, un navire de guerre de 69 mètres de longueur, 11,7 mètres de largueur, armé de canons répartis sur deux ponts. Le 10 août 1628, le bateau quitte le quai du chantier naval, passe devant le palais royal, mais, après quelques minutes de navigation, coule dans la baie de Stockholm par 30 mètres de fond. En 1956, l'épave du Vasa est redécouverte et, en 1961, le navire est remonté à la surface. Aujourd'hui, bien qu'il ait subi plusieurs traitements de conservation et qu'il soit abrité dans un musée, il est menacé par des réactions chimiques qui rongent le bois.

À sa sortie de l'eau, 333 ans après son naufrage, le Vasa était gorgé d'eau, mais il était bien conservé, car les eaux où il reposait ne contenaient quasiment pas d'oxygène (les microbes qui dégradent le bois en sont absents). Le Vasa a alors subi un traitement au polyéthylène glycol, un composé qui évite que des pièces de bois ne rétrécissent lorsqu'elles sèchent. Il en a été aspergé de façon intermittente pendant 17 ans, puis séché lentement pendant neuf ans, avant d'être placé dans le musée en 1990. En juillet 2000, lngrid Hall-Roth et ses collègues, du Musée du Vasa, ont remarqué la formation de précipités blancs ou jaunes à la surface du bois, et ont constaté que l'épave est acide. Les précipités ont été identifiés : ce sont des sulfates, surtout du gypse (CaSO4,2H20) et du natrojarosite NaFe3(SO4)2(OH)6, ainsi que du soufre pur. L'intérieur du bois contient également des sulfates et du soufre, ainsi que plusieurs composés soufrés plus ou moins oxydés (risquant de se transformer en acide sulfurique).

D'où vient le soufre accumulé dans l'épave ? À 30 mètres de fond, où l'oxygène est quasiment absent, des bactéries qui métabolisent les sulfates de l'eau de mer, le transformant en sulfure d'hydrogène, prolifèrent. Le sulfure d'hydrogène libère du soufre, qui diffuse dans le bois des épaves. Le soufre s'oxyde en présence d'air, d'eau et d'un catalyseur, qui pourrait être une bactérie ou du fer. Or, à la suite d'une panne du système de climatisation et d'un été particulièrement pluvieux (les visiteurs entraient avec des vêtements mouillés dans la salle du Vasa), le taux d'humidité de l'atmosphère a atteint 70 pour cent. De plus, les 8 500 boulons rivés dans la structure du navire pour remplacer les originaux avaient subi une corrosion sous l'action du polyéthylène glycol : une importante quantité de fer avait été libéré. Si tout le soufre du Vasa était oxydé, cinq tonnes d'acide sulfurique - qui endommage le bois - seraient produites. Une partie des ions sulfates déjà produits s'est combinée à d'autres espèces chimiques, notamment du fer, donnant les précipités observés.

Les conservateurs du musée traitent le navire par une solution de bicarbonate, pour réduire l'acidité, mais la méthode ne sera efficace que pendant quelques mois. Une autre méthode consisterait à remplacer les boulons en fer par d'autres constitués d'un matériau inerte, mais on ne peut envisager un démontage complet du navire (il restera donc du fer dans la structure). Des agents complexant le fer sont à l'étude, ainsi que l'extraction des complexes formés. Au printemps prochain, des experts du monde entier se réuniront pour tenter de trouver une solution définitive à la conservation du Vasa.

POUR LA SCIENCE N° 304, © Pour la Science, février 2003

Le VASA

Avec l'aimable autorisation de la revue Pour la Science du 27 novembre 2003