L'INDUSTRIE FRANÇAISE FACE AUX DÉFIS |
1. Préambule | 2. La situation avant.. . | 3. Les acquis techniques de départ |
4. Les technologies | 5. Les équipements réalisés | 6. L'expansion, l'exportation |
7. Aujourd'hui |
A l'occasion du 40ème anniversaire de la première liaison transatlantique par satellite, ces quelques lignes relatent brièvement mon expérience acquise au cours de 34 années d'activité industrielle consacrée exclusivement aux télécommunications par satellites.
Je n'ai pas été un témoin direct de la première transmission historique du 11 juillet 1962, puisque mon activité dans ce domaine n'a débuté qu'en1966. Cependant, cette transmission est à la base de la décision française de développer les transmissions spatiales, auxquelles je dois l'ensemble de ma carrière.
Mes souvenirs personnels sont ravivés par les écrits riches et précis de
M. Philippe MAGNE et par les travaux de M. Claude BREMENSON. Les personnes intéressées pourront utilement consulter le site INTERNET de l'AICPRAT, l'Association Amicale des Ingénieurs et Cadres Préretraités et Retraités Anciens de Thalès (http://aicprat.free.fr ) voir " Histoire de Thalès ".
Avant l'avènement des faisceaux hertziens et des satellites de télécommunications, les transmissions téléphoniques et télévisuelles étaient assurées par des câbles équipés de répéteurs.
Les liaisons téléphoniques longue distance étaient le plus souvent effectuées par radio ondes courtes (modulation BLU/BLI) dont certaines sont restées en fonction jusqu'aux années 1970. Ceux qui ont eu à les pratiquer se souviennent certainement de leur précarité et de leur inconfort : faute de mieux, on était particulièrement satisfait quand on pouvait soutenir une conversation sans être interrompu par un profond fading ou même une coupure franche d'un sens de transmission, aller ou retour, quand ce n'était pas des deux à la fois.
La première liaison expérimentale par faisceau hertzien à vue directe à 2 GHz a été réalisée en 1933 par Clavier, ingénieur LCT/ITT. Mais il aura fallu attendre 12 ans pour voir se réaliser la première exploitation commerciale à 3,3 GHz en 1945 entre New York et Philadelphie ;
En spatial, l'intervalle de temps entre expérimental et commercial a été plus court car on disposait de la technologie des faisceaux hertziens terrestres dès qu'on a su maintenir à poste pour un coût acceptable les premiers satellites géostationnaires. Un historique précis a été retracé par M. THUE sur ce sujet.
Les principes de transmission ont été établis grâce aux travaux théoriques et aux expérimentations d'éminents spécialistes. Les ingénieurs ont pu y avoir accès dans les textes de l'IEEE, du CCIR, du CCITT (exemple : recommandations de J.P. VASSEUR ...).
Les contributions fondamentales des BELL Labs, de la NASA, du CNET et du CNES doivent être citées.
La COMSAT puis INTELSAT ont mis au point des normes précises directement exploitables.
Rappelons de manière très simpliste qu'on a pu se lancer dans l'exploitation des micro-ondes dès qu'on a eu conscience de la bonne stabilité de la propagation, bien que ce constat n'ait certainement pas eu lieu du jour au lendemain.... MM. THUE et HOUSSIN ont incontestablement des connaissances très avisées sur ce sujet...
A la base de la réalisation des matériels, il faut aussi rappeler le principe fondamental selon lequel la capacité de transmission est directement proportionnelle à la puissance reçue, et inversement proportionnelle au bruit.
La puissance reçue est elle-même directement fonction de :
Puissance émise | X | Surface antenne sol -------------------------------- Z surface zone couverte |
Si ces paramètres sont fixes, on voit qu'il y a indépendance de la distance et de la fréquence.
Les spécificités du spatial :
A partir du moment où on recherche un point haut pour relier en vue directe deux points éloignés, ou " arroser " une large zone, il est évident que le satellite géostationnaire est du plus grand attrait : on couvre sensiblement 1/3 du globe depuis une position à 36000 km.
Cet arc géostationnaire déterminé par la gravité de la terre et sa vitesse de rotation est un véritable " don du ciel " (ou plutôt de l'espace). Regrettons simplement qu'il soit un peu haut, le temps de propagation devenant un handicap non négligeable en téléphonie.
C'est une des raisons pour lesquelles les systèmes défilants basse altitude ont eu eux aussi de fervents partisans : quand on a pu prouver avec le système GPS que la réalisation et l'exploitation de constellations étaient possibles, la tentation a été grande de réaliser des systèmes " mondiaux " de téléphonie mobile indépendants des frontières, en orbite suffisamment basse pour que les antennes des satellites puissent générer sans être trop volumineuses des petites " cellules " géographiques au sol, exploitables par des petits terminaux ; d'où la naissance des systèmes IRIDIUM et GLOBALSTAR.
Cependant, les coûts d'exploitation ont été quelque peu sous-estimés, les problèmes politiques difficiles à gérer (indépendance des états) et la concurrence du GSM terrestre impitoyable.
Si bien que le GEO a su compenser ces défauts des constellations dès qu'on a su mettre à poste des grandes antennes générant des cellules terrestres de petite dimension (exemple : THURAYA).
Le GEO a donc de nouveau marqué des points, mais reconnaissons qu'il est plus particulièrement adapté à la diffusion (TV et Radio) et que le téléphone se satisfait mieux de temps de propagation plus courts.
Les principes de transmission évoqués ci-dessus ont entraîné la réalisation d'antennes de satellites de plus en plus grandes, d'émetteurs de plus en plus puissants.... Une des conséquences a été la généralisation de la stabilisation 3 axes des satellites, un " champ " d'antennes contrarotatives devenant irréalisable.
Le précurseur du 3 axes est le satellite SYMPHONIE (1975), HUGHES s'est rallié à ce principe en 1979 avec INTELSAT 5.
En vertu du principe de recherche du maximum de capacité, la recherche du minimum de bruit thermique est également une constante dans la transmission espace vers sol : les antennes sol " voient " un ciel froid (5 K) qu'il serait malheureux de polluer par du bruit généré au sol. Les transmissions par satellites se sont donc dès le début appliquées à la réalisation de récepteurs à faible bruit, d'abord masers, puis amplificateurs paramétriques puis FET (transistors à effet de champ).
Accès multiple
La notion d'accès multiple vient du fait que plusieurs utilisateurs, qu'ils soient des circuits individuels, ou des multiplex de plusieurs circuits, ou encore des nations différentes, partagent la même bande de fréquence et la même puissance radio disponible à bord d'un même satellite.
Dans le système le plus simple, chaque station terrienne émet vers le satellite une porteuse modulée par toutes les voies à transmettre ; le satellite reçoit tout le monde, amplifie et renvoie tout vers tous. A la réception au sol, chacun trie ce qui lui est destiné à l'intérieur de toutes les porteuses reçues.
Une telle liaison comporte donc un seul modulateur et plusieurs démodulateurs. Les porteuses sont juxtaposées dans la bande de fréquence allouée ; c'est l'accès multiple par répartition en fréquence, AMRF.
Dans une variante de ce procédé, la station terrienne émet une seule voie par porteuse au lieu d'une porteuse regroupant toutes les voies : c'est le SCPC (single channel per carrier).
Selon un autre principe, qui a vu le jour après l'avènement du numérique, la répartition est faite par l'attribution à chaque utilisateur d'un intervalle de temps à l'intérieur duquel il a le droit d'émettre : c'est l'accès multiple par répartition dans le temps, ou AMRT.
On a aussi développé, grâce à la technique d'étalement du spectre, un accès multiple par répartition de codes (AMRC) : on attribue à chaque porteuse individuelle un code d'étalement de spectre, et toutes les porteuses ainsi étalées par des codes différents sont émises à la même fréquence. A la réception, il suffit de désétaller avec le code connu de son correspondant pour " l'extraire " de l'ensemble. Comme les codes sont attribués une fois pour toutes à tous les correspondants, il n'est plus nécessaire de gérer l'attribution en temps réel, comme c'est le cas dans l'attribution des intervalles de fréquences (AMRF) ou de temps (AMRT). Ce système présente l'avantage d'être très résistant aux interférences ou aux brouillages mal intentionnés. Il est malheureusement peu capacitif car toutes les porteuses étalées se comportent comme du bruit additionnel intrinsèque.
On pourrait penser étendre cette notion d'accès multiple à d'autres systèmes, comme les liaisons par fibres optiques, lorsqu'on transmet plusieurs longueurs d'onde simultanément dans une seule fibre, en les sélectionnant ensuite par des prismes. Mais il s'agit là plutôt de " multiplexage/démultiplexage ", analogue à ce qui est pratiqué par exemple aux accès des antennes en RF.
Les matériels qui ont été développés pour les liaisons spatiales ont été basés sur la technologie existante des faisceaux hertziens terrestres, en ce qui concerne pour le moins les modems, les transpositions de fréquence et les multiplex.
ATT a été précurseur. En France, la division faisceaux hertziens de THOMSON CSF (DFH) était bien préparée pour s'adjoindre un département Liaisons Spatiales (DFH LS) dont l'activité avait débuté au sein de CSF avant la fusion.
La CGE, avec la CIT, avait également entrepris la réalisation d'équipements " lourds ", antennes, amplificateurs de puissance, et multiplex. ALCATEL a par la suite repris l'ensemble de ces activités, que ce soit pour le sol ou pour les satellites.
On disposait dans le monde dès 1940 des capacités à produire des hyperfréquences, souvent pour les besoins des radars. On disposait des premiers tubes à ondes progressives (TOP), de klystrons, de carcinotrons (ancien brevet EPSZTEIN). Les isolateurs et circulateurs à ferrites ont été particulièrement précieux pour la circuiterie et les multiplexeurs hyperfréquences (LTT). Les transistors se sont développés irrésistiblement, mais il a fallu 15 ans depuis 1962 pour passer au " tout état solide ". Les transistors ont permis entre autres de baisser la consommation, donc d'améliorer la fiabilité.
Pour le sol :
Les modulateurs à modulation de fréquence (FM) issus des faisceaux hertziens ont été équipés de dispersion d'énergie pour réduire les interférences (intermodulations) générées par l'accès multiple (plusieurs signaux amplifiés simultanément dans un même amplificateur).
Les démodulateurs FM à seuil amélioré ont permis d'opérer en présence de bruit thermique important (ce qui revenait en gros à réduire la puissance d'un facteur deux). Ils étaient utilisés pour les petites capacités car ils sont efficaces si la bande à transmettre est très inférieure à l'excursion de fréquence.
Des modems numériques à moyenne et grande capacité ont été spécialement développés pour les systèmes INTELSAT et TELECOM 2.
Des transpositions de fréquence " agiles ", c'est à dire faciles à changer de fréquence, se sont avérées indispensables pour les reconfigurations fréquentes des réseaux. La méthode consistait à effectuer un double changement de fréquence pour éviter de modifier les filtres, et de générer la fréquence au moyen de synthétiseurs.
Les amplificateurs paramétriques équipés de pompes GUNN à 60 GHz ont fait l'objet de développements laborieux et coûteux, car on était à la limite d'une technologie reproductible industriellement.
Pour les amplificateurs de puissance, THOMSON CSF a développé un concept original à partir d'un carcinotron piloté par l'onde modulée hyperfréquence à transmettre ; ce " CARPITRON " ainsi nommé, générait une porteuse unique de puissance fixe de 500 watts. Une alimentation spécifique à tubes délivrait les hautes tensions nécessaires. Le réglage de la puissance était effectué grâce à un atténuateur variable à déphaseur de puissance spécialement étudié pour l'occasion.
De plus ont été réalisés des amplificateurs de grande puissance à klystrons (jusqu'à 10 Kw nécessaires pour la télévision), et des TOP large bande de 20 w à 5kw (tube SIEMENS). La grande largeur de bande permettait l'amplification multiporteuses, avec toutefois l'inconvénient de générer des produits d'intermodulation indésirables rigoureusement interdits en accès multiple. On réduisait ces produits d'intermodulation en abaissant la puissance globale par rapport à la saturation (back off) ; un dispositif original de linéarisation (linéariseur hyperfréquence) permettait de limiter ce back off d'environ 3db.
Les tubes de puissance étaient un point fort de THOMSON CSF, qui a longtemps coopéré avec VARIAN dans ce domaine.
Pour les satellites :
Tous les composants nécessaires à un satellite ont été pratiquement développés au fil des années d'abord par les équipes de DFH LS (quelques dizaines de personnes au début), puis par ALCATEL SPACE (6000 personnes).
Quelques exemples de mémoire, et de façon non exhaustive :
- circuits couche mince, substrats alumine
- filtres ultra légers, cavités à double résonance, carbone métallisé, invar
- Antennes carbone métallisé, coques minces raidies, coques formées
- Large gamme d'amplificateurs à TOP (THOMSON CSF) de 20w à 150w avec ou sans linéariseurs
L'acquis de PLEUMEUR BODOU a été fondamental pour entreprendre une expansion qui a placé l'industrie française parmi les meilleurs du domaine dans le monde.
De nombreuses stations terriennes ont été construites pour le réseau INTELSAT ou pour des réseaux nationaux :
De nouvelles gammes d'équipements hyperfréquences ont été développées à ces occasions :
7-8 GHz | 10/11/12-14 GHz | 20-30 GHz (Gometz) |
Puis développement de la TV RO, exportation des équipements et du savoir-faire jusqu'en Chine et aux USA... .
Le dernier satellite livré par Alcatel Space à Cannes pour Astra pèse 4 tonnes, consomme 15 kw et disposera d'une durée de vie estimée à 19 ans. Il est intéressant de comparer ces données à celles du 1er géostationnaire Early Bird de 1964 : 39 kg 40 watts, ou à celles d'Intelsat 5 : 1053 kg 1300 watts en 1979....
En cours de réalisation, notons également des processeurs de grande capacité capables de numériser les signaux montants pour les démultiplexer et les répartir vers des destinations multiples en fonction de la demande en temps réel, les antennes électroniques formant des pinceaux reconfigurables à tout moment, les nouvelles fréquences radio jusqu'à 44 GHz...
Les systèmes satellitaires seront de plus en plus consacrés :